La position schizo-paranoïde
Développée par Mélanie Klein
(psychanalyste 1882-1960) la position schizo-paranoïde décrit une phase dans le
développement psychoaffectif du bébé (0 à 4 mois).
À ce stade bébé ne perçoit pas sa
mère comme une personne entière. En psychanalyse on parle d’objet pour parler
de cet autre qui a une importance primordiale pour nous dans la relation
affective. Il ne s’agit donc pas de transformer une personne en chose, mais
bien de définir cette personne comme apportant quelque chose à l’enfant et
pour/dans/sur laquelle l’enfant va décharger ses pulsions ou les assouvir.
Cette femme, objet de mon amour, n’est pas une chose, mais bien une personne. Néanmoins,
elle existe en tant que personne qui répond à un besoin de contact, d’amour ou
tout autre besoin. Plus l’objet est perçu dans sa
globalité, avec ses défauts et ses qualités, ses forces et ses faiblesses, ses
particularités, plus il sera considéré comme entier. L’objet sera complet et
non plus partiel. Le bébé de 0 à 4 mois (environ), selon Klein, considère sa
mère (ou son substitut) non entièrement. Il l’a considère en fonction de ses
désirs et de ses besoins. À ce stade bébé a besoin de bras pour le bercer, d’un
sein (d’un biberon, d’une cuillère) pour le nourrir, d’un regard dans lequel se
plonger, et de stimulations pour développer son cerveau et sa musculature. Il
va donc considérer cet objet (mère) en fonction de ses besoins. J’ai faim = je
veux un sein pour me nourrir. J’ai peur = j’ai besoin de bras pour me rassurer…
Pour assurer sa survie, il développe des processus psychiques particuliers qui
sont dépendant de la maturation de son petit cerveau déjà bien créatif. Le bébé
fonctionne au départ de façon binaire. J’ai faim, je veux manger, j’ai besoin
d’un sein. Si le sein arrive et qu’il est bon, le bébé se sent bien et
considère l’objet (sein) comme bon (ce qui l’aidera à se sentir bon lui-même
par la suite). Si le sein n’arrive pas, n’est pas bon ou est difficile d’accès,
le bébé se sent mal, il a faim, et considère cet objet (sein) comme mauvais (et
finira par se sentir lui-même mauvais). Ce binarisme s’appelle le clivage.
Cliver signifiant couper en deux. Deux compartiments opposés existant sans
influence. Une image pourrait être celle de ses boites à deux clapets ; si
l’on ferme un clapet, l’autre s’ouvre. Les deux ne pouvant s’ouvrir en même temps.
L’objet (l’autre) est donc considéré comme bon ou mauvais plutôt que bon ET
mauvais à la fois.
L’adulte étant resté dans la
position schizo-paranoïde aura tendance à voir l’autre en tout ou rien, bon ou
mauvais, gentil ou méchant. Je l’aime, je le déteste. C’est mon meilleur ami, c’est
un inconnu. Selon les moments. Selon les situations. Le clivage est donc une
vision de l’objet soit bon, soit mauvais. Imaginez que ce soit bon. Pas de
problème. Imaginez que ce soit mauvais. Aïe. Cela est douloureux. Très
douloureux. Imaginez-vous dépendre d’un autre pour manger. Imaginez que vous
ayez très faim. Imaginez que cet autre ne vous donne pas à manger. Comment vous
sentez-vous ? Probablement mal. Comment sentez-vous l’autre ?
Probablement que vous allez finir par lui en vouloir. Peut-être même le haïr.
Peut-être fantasmer de lui faire du mal tellement vous avez faim
(identification projective). Le problème, c’est que vous avez bien compris que
si vous lui faites du mal, vous n’aurez plus personne pour vous nourrir !
Un dilemme insupportable. Vous ne pouvez pas vous autodétruire non plus. Pour
réfréner ses fantasmes de destruction de ce mauvais sein et de l’angoisse de le
perdre, bébé va projeter dans l’objet sa propre haine. Ainsi, l’objet porte la
haine en lui. Cela ne règle pas le problème de la faim, mais bébé reste
intègre. L’objet devient alors ce méchant monstre qui pourrait le dévorer
(comme il l’aurait bien dévoré), le couper en morceau (comme il l’a fantasmé le
faire sur le sein), l’intruser (comme il a rêvé le prendre quand il veut sans
demander la permission). Bébé va alors faire son « parano » en
croyant que puisque le sein ne vient pas, c’est parce que ce sein est méchant
ou le considère comme méchant. Bébé rêve de puissance. Il va falloir qu’il
patiente un peu. Ou pas. Bébé n’est pas un meurtrier grâce au fait qu’il
réussit à mettre la haine dans l’objet. Mais la conséquence est que bébé se
sent victime de l’objet persécuteur ! Parfois, il va se laisser aller à
mordre, peut-être à taper. Mais pour l’instant, il ne peut pas, alors il vit
seul avec ses fantasmes de persécution ou il est persécuté par ce méchant objet
qui ne lui apporte pas ce dont il a besoin. Il est impuissant et n’a pas encore
la possibilité de trouver des excuses à ce sein (ou biberon). Il pleure, il
hurle. Si rien ne vient, la haine va se développer en silence, le besoin va
devenir si fort tout en ne pouvant rien faire pour arranger cela. Si cela
continue, il va se laisser mourir de faim, seul dans sa bulle de fantasmes.
Adulte, il aura tendance à rêvasser plutôt que de s’activer pour obtenir ce
dont il a besoin. Il aura tendance à se détourner des gens qui lui font mal
sans vraiment rompre le lien ou de façon invisible. Il rêvera d’une princesse
charmante ou d’un prince charmant bon, aimant. Il ne le trouvera pas car à
chaque fois que l’autre ne répondra pas à ses attentes, il se dira que cet
autre est mauvais, méchant, inintéressant ou qu’il lui en veut… L’adulte qui a
gardé cette expérience de manque, de vide, pourrait ressembler au naïf qui ne
regarde que le bon côté sans jamais voir le mauvais. Mais au moindre faux pas
de la part de l’autre, c’est terminé, next, il passe à autre chose. Ressentir à
nouveau cette frustration, ce vide, ce manque est insupportable. Les critiques,
les conflits, l’humour sarcastique est insupportable. Il pourra vous paraître
dans la lune, lointain, incapable de parler, lunatique, borné, solitaire…
Comprenez que c’est parce qu’il ne veut pas vous faire de mal qu’il préfère
s’enfermer dans sa bulle de fantasme. Il ne peut exprimer sa colère envers vous
pour vous garder bon. Il ne réussit pas à vous considérer dans votre entièreté,
avec vos bons et vos mauvais côtés. Il ne veut garder de vous que le bon. Alors,
il fera tout pour vous garder bon. Réjouissez-vous de rencontrer un schizo-paranoïde,
car il fera de vous son prince ou sa princesse, quitte a souffrir
intérieurement. Quitte à fantasmer de la violence. C’est un adulte fidèle et
loyal. Vous le quitterez avant qu’il ne vous quitte. Sauf s’il s’épuise. Son
angoisse est de vous détruire, d’être intrusé, coupé en morceau, persécuté. Il
cherchera donc à éviter le conflit, les mauvais moments et de faire du mal à l’autre.
Le schizo-paranoïde est possessif, exclusif, mais pas jaloux. Quand il a un
ami, il a un ami. Il est prêt à tout pour garder intacte la relation. Il
préfère souffrir que faire souffrir. Il peut être harcelé sans rien dire, en
supportant jusqu’à l’épuisement. Il est souvent caméléon et prendra rapidement
les expressions, l’accent, les manières d’une personne qu’il aime ou qu’il
admire parce qu’il cherche à avoir des qualités plutôt que des défauts. Il peut
attribuer à l’autre des défauts qui sont les siens. Imaginer que vous lui
voulez du mal, que vous l’oubliez, que vous ne l’aimez pas au moindre faux pas.
Vous serez étonné de le voir se renfermer parce que vous avez oublié sa fête,
son anniversaire, parce que vous ne l’avez pas appelé depuis une semaine. Mais
jamais il ne vous le reprochera sauf si vous le mettez vraiment en colère. Si c’est
le cas, il partira, se renfermera pour ne pas vous transformer en crapaud. Le
schizo-paranoïde quitte ceux qu’il aime parce qu’il les aime. Il ne déteste que
peu de gens. S’il vous insulte c’est qu’il ne vous n'êtes pas important pour lui ou que vous êtes la
goutte d’eau qui a fait débordé le vase.
Revenons au bébé. Il va grandir et
sa compréhension, sa réflexion, ses conclusions vont évoluer. Dans le meilleur
des cas, il va finir par accepter l’impuissance qui est la sienne, comprendre
la difficulté de l’autre, voir l’autre avec ses bons et ses mauvais côtés comme
un être entier et passer à un autre stade, celui de la position dépressive
(voir article). N’oublions pas que nous ne pouvons mettre les gens dans des
cases. L’adulte peut présenter une position schizo-paranoïde dans certaines
situations ou avec certaines personnes et une position dépressive dans d’autres
situations et avec d’autres personnes. La pathologie commence quand la position
devient rigide et empêche la personne de mener sa vie comme elle le souhaite.
Au pire le bébé schizo-paranoïde va évoluer vers une pathologie schizophrène
(avec délires de persécution, hallucinations, épisodes de violence…), vers une
personnalité schizoïde (avec une vie sociale pauvre, un monde fantasmagorique
riche, une vie émotionnelle sensible…) ou une personnalité paranoïde (avec des
idées de persécutions, une méfiance de l’autre acérée…). Dans le meilleur des
cas, la position schizo-paranoïde est une étape nécessaire au développement. Le
clivage étant la prémisse de la différenciation, l’identification projective la
prémisse de l’empathie, l’idéalisation celle de l’admiration, de l’amour et du
développement de valeurs profondes.
Karine Danan
Liens :
- http://www.etude-psy.fr/128-autre_article/61-position_schizo_paranoide_d%C3%A9finit_par_Klein.html
- https://psychomag.blogspot.fr/2016/09/la-position-depressive-sous-loeil-de.html
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