mercredi 28 septembre 2016

La projection

La projection est un mécanisme qui consiste localiser à l'extérieur de soi quelque chose qui se situe en fait à l'intérieur.


Exemple : 
Jeanne : Vous lui avez parlé de quoi ?
François : Non, mais, je ne lui ai pas dit que...
Le "non, mais..." montre que François imagine que Jeanne pense quelque chose (qui n'a pas été nommé) et répond à ce qu'il imagine et non à la question posée.
François attribue à Jeanne une pensée, un soupçon qu'elle n'a pas nécessairement. En fait, on ne le sait pas, tant que Jeanne ne l'a pas nommé. D'ailleurs, peu importe que Jeanne ait ou non pensé ce que François croit. Ce qui est important ici, c'est le mécanisme lui-même.


Que se passe-t-il ?
François attribut à Jeanne ce que lui même ressent ou pense sans le reconnaître.
Si pour l'observateur avisé, François déplace son propre sentiment chez Jeanne, son vécu est de localiser chez Jeanne un sentiment qui en fait lui appartient à lui. 


Mais pourquoi fait-il ça ? 
Certainement que si François reconnaissait sa propre suspicion, il se rendrait compte qu'il a un rôle dans les trahisons qu'il subit ou bien il devrait reconnaître la trahison qu'il a vécu et les émotions qui vont avec. Pour s'économiser cette douleur, il projette au-dehors ce qui en fait est en lui. Ainsi, il garde une image cohérente de sa vision de lui-même, du monde et des autres.


Alors, c'est bien :-) ?
Oui et non ! Oui parce que cela empêche la souffrance de la situation initiale. Non, parce que ça nous engage à retrouver la même situation indéfiniment ne sachant pas nous en protéger de façon plus efficace.



Y a-t-il plusieurs formes de projection ?
Le mécanisme de la projection est toujours le même, mais peut être plus ou moins conscient, intense, régulier et concerner différents sujets.

Au niveau névrotique, la personne reconnait facilement qu'elle projette.
Au niveau psychotique, la personne utilise la projection de façon quasi systématique et de façon intense. Si on l'interpelle sur ce point, elle s'en défend ou ne comprend pas ce qu'on cherche à lui dire.


La projection ne parle que de suspicion ?
Non ! On peut projeter tout ce que l'on veut ! Du désir, des louanges, de la peur, de la colère, des jugements... tout ce qui nous est impossible de reconnaître pour nous-mêmes.


En quoi est-ce insupportable de sentir les louanges ?
Si je pense que je ne vaux pas le coup, je vais avoir tendance à vivre les situations avec cet angle de vue. Si l'on vient me montrer le contraire, je pourrais m'en défendre. On ne sait jamais, si l'autre avait raison, cela remettrait en question toute ma vision du monde, de moi-même et des autres ! Quel boulot !


Comment faire pour arrêter de projeter ?
Nous projetons tous à un moment ou un autre. Un regard suffit...
Si nous nous servons de cette projection pour aller mal, il vaudrait peut-être mieux demander à l'intéressé ce qu'il en dit et lui faire confiance sur la réponse qu'il apporte ! A moins qu'il projette également ! ça se complique. Le meilleur moyen d'éviter la projection c'est d'en prendre conscience et de comprendre de quoi elle nous protège.


Pour conclure
Les mécanismes de défense nous protègent de quelque chose, mais tout en même temps nous empêchent de vivre en paix parce qu'ils nous protègent de quelque chose qui n'existe plus dans l'ici et maintenant.
Ce n'est pas le mécanisme qui est "mauvais", c'est sa rigidité. Si on a tous besoin de se protéger, nous ne sommes pas obligés de monter des murailles !

K.Danan

jeudi 8 septembre 2016

La position dépressive - sous l'oeil de Mélanie Klein

La position dépressive est marquée par "une angoisse dépressive envers l'objet ou plutôt de la perte de l'objet"[1].

Qu’est-ce que cela veut dire ?
1.    Que l’enfant a identifié la mère comme objet (c'est-à-dire comme différente de lui)
2.    Cette différenciation permet à l’enfant d’entrer en « relation » avec un objet total et non plus partiel (il reconnaît la mère dans son entier et non plus de manière « clivée » - dont les parties ne peuvent être unifiées. Ainsi se constitue la distinction entre le Moi et l’Autre.


Quelles conséquences chez l’enfant ?
Imaginez que vous veniez de découvrir que l’Autre est un Autre. Vous savez que seul cet autre peut vous apporter ce dont vous avez besoin. Comme vous êtes un bébé (à ce stade), vous ne pouvez aller travailler pour gagner de l’argent pour vous acheter à manger et manger ! Et si vous ne mangez pas, vous mourrez ! En regardant cela ainsi, on comprend vite que la mère – l’objet capable de me faire vivre - soit si importante pour le bébé.

Quand on parle de la mère, on parle de la personne qui a le rôle régulier d’apporter à l’enfant ce dont il a besoin (ce n’est pas parce qu’elle en a le rôle qu’elle le tient. Soit dit en passant !). La mère peut avoir un substitue de sexe non féminin. Le sexe n’ayant pas grand à voir avec notre affaire pour l’instant ! Le bébé vient à peine de différencier la mère de lui-même, il n’en est pas encore à la différenciation sexuelle.

Ici donc, l’angoisse du bébé est de perdre l’objet. Cette angoisse culmine selon Klein vers 6 mois. Autant dire qu’à cet âge (+ou-), le bébé vit fortement l’angoisse de la perte, et ce, jusqu’à environ un an, quand il acquiert la permanence de l’objet (encore que cette permanence soit déjà acquise selon les études qui ont été faites). Mais bon, si angoisse il y a, c’est que le sentiment de sécurité est fragile, voire absent.


Que se passe-t-il dedans ?

Le bébé ressent donc l’angoisse et ressent dans le même temps des sensations qui viennent de l’objet – différent de lui. Sensations bonnes et mauvaises. Il prend conscience (d’une certaine manière) de sa propre dépendance à l’objet. Les réponses que l’objet apporte à ses besoins vont amener des sentiments d’amour ou d’agressivité. L’objet étant toujours la source de ses gratifications et de ses frustrations (et oui ! Il ne peut toujours pas aller se chercher un job !). Du coup, sachant qu’il est dépendant de l’objet et que cet objet n’est pas toujours bon (et c’est tant mieux !), il va sentir de l’ambivalence : dés fois il l’aime, dés fois il lui veut du mal (si ! si !). Il va lui arriver de fantasmer de la détruire. Ce fantasme pouvant l’amener à un sentiment de culpabilité : je m’en veux de détruire l’objet qui me fait aussi du bien.

Dans le dialogue interne, il peut se dire : ce n’est pas bien de penser ainsi de ta maman qui t’aime (il l’entend de sa propre mère.)

C’est grâce à ce dialogue interne et à la culpabilité naissante qu’il acquiert le respect de l’objet. On ne casse pas les jouets des autres !

Ici, l’idée de Klein diffère de celle de Freud, en apparence. Pour Freud, la culpabilité trouve son « origine dans le complexe d’Œdipe et se manifeste comme une séquelle de celui-ci » [2]. Ainsi, pour Klein, le sentiment de culpabilité est plus précoce que pour Freud (qui n’est plus là à cette époque !).
Les absences de l’objet peuvent être vécues comme une disparition totale (si la permanence de l’objet n’est pas acquise). Ce serait « horrible » pour ce bébé de perdre l’objet (je rappelle qu’il ne peut pas subvenir à ses besoins tout seul !), d’où la culpabilité de ses fantasmes et son désir de l’avoir avec lui, sa mère ! (il ne veut plus qu’on le fasse passer de bras en bras).

Si on en revient au fantasme de destruction, qu’imagine l’enfant à ce stade ? Il peut imaginer la dévorer puisqu’il est au stade oral (mettre tout à la bouche, parce que c’est bon ! miam !) Donc si maman n’est pas là, c’est peut-être que je l’ai mangé !? Quelle torture intérieure ! Pour ne pas vivre la torture du fantasme, il faut donc réparer maman, enfin l’objet (prendre soin d’elle, la recréer quand elle est absente : tiens on dira que ce gros LEGO est maman ! Pan !) Le bébé se met à jouer. Ça fait du bien. Ça permet de surmonter l’angoisse dépressive / ou l’angoisse de la perte et la culpabilité.
Je vous conseille donc si vous êtes adulte et que vous êtes dans la position dépressive, de jouer, jouer et jouer ! Jouer quoi ! Quand votre ami/e sort sans vous. Jouez ! Quand vous êtes loin de lui/d’elle et que vous vous dites : oh mon Dieu je l’ai perdu pour toujours…jouez !

Pourquoi je dis : « vous êtes dans la position dépressive » ? Eh bien parce que certains d’entre nous n’ont pas encore compris que quand l’objet s’en va, il ne s’en va pas pour toujours (bien sûr se pose la question du pourquoi l’autre est encore objet chez l’adulte normalement devenue autonome, hein ! Heu, j’y reviendrais).


Pourquoi c’est bien ?

L’enfant, grâce au jeu, peut patienter et se faire du bien en attendant de découvrir (si tout va bien) que maman revient toujours. Pour apprendre cela, il a besoin d’un ensemble de situations ou la mère, enfin, l’objet, s’absente ET REVIENS ! Alors, maman s’absente d’abord 30 secondes, puis 1 minutes, puis 5 puis 10 puis 1 heure, puis 2… Elle joue à cache cache avec bébé, elle le rassure, lui explique qu’elle va revenir et quand, en lui apprenant la notion du temps par exemple.

Mais vous allez me dire, un bébé de 6 mois ne comprend pas ! Eh bien si ! Il comprend et même très bien. Il comprend tellement bien, qu’il est capable de s’adapter à vous sans que vous vous en rendiez compte. Il est pas malin ce petit bonhomme !

Ce qui est intéressant dans l’idée de Klein, c’est :
1.       De définir la position dépressive comme un stade de développement chez l’enfant
2.       D’émettre l’hypothèse que ce stade peut se révéler à l’âge adulte, s’il n’a pas été « résolu »

Ce que nous n’avons pas résolu, nous cherchons à le résoudre toute notre vie ! Pfff ! Quel boulot !

Je voudrais insister sur le fait que sortir de la position dépressive ne se fait pas seul et ne peut se faire qu’en compagnie d’une personne qui nous permette de prendre confiance en la permanence du lien même quand « on ne se voit pas ».


Comment apprendre ?

Comme on apprend à jouer d’un instrument de musique : répétition, répétition, répétition jusqu’à intégration. Donc ici, répétition d’expériences positives où l’objet revient. Bien sûr tout cela dans la joie et la bonne humeur !

Les mécanismes de défense représentatifs de la position dépressive sont : la dénégation, le clivage, l’idéalisation, le contrôle (des objets internes et externes). Ces processus, utilisés par le Moi permettent de « neutraliser » l’angoisse dépressive et la culpabilité. Le problème, c’est que leurs effets sont limités dans le temps (si ça marche pour résoudre une situation immédiate, cela ne fonctionne plus pour résoudre un problème sur le long terme, il faut dire que bébé n’a pas encore la notion du temps ! Non, non !).

Pour qu’il y ait position dépressive, il faut qu’il y ait constitution de l’objet, mais pour sortir de la position dépressive, le bébé doit avoir pu établir un contact avec un « bon objet » et l’intégrer en lui. Ainsi, il aura le désir de reconstituer le bon objet interne (c'est-à-dire sa vision intérieure de l’objet externe) et l’objet externe (c'est-à-dire l’objet objectivement perçu). Ces activités de réparation, qui passe essentiellement par le jeu, vont dissiper les angoisses et le faire sortir de la position dépressive. L’enfant doit faire l’expérience à ce stade que ces fantasmes ne sont que des fantasmes et qu’il ne peut détruire réellement l’objet (d’où le fait de tenir bon quand bébé fait une crise de nerfs !) Ainsi, il peut intérioriser le bon objet dont il aura nécessairement besoin pour sa future estime de lui. Vous voyez ce que je veux dire ? ;-)


L’importance du jeu

Le jeu permet un espace créatif qui va servir à élaborer la sublimation et développer donc le symbolisme (absolument nécessaire pour ne pas manger vraiment sa femme après lui avoir dit : Mmh ! Je te mangerais bien.) Point d’inquiétude, la plupart d’entre nous, avons acquis le niveau symbolique même si nous sommes encore un peu dans la position dépressive ! Pour ceux qui l’ont atteint ! Ouf ! Par contre Hanibal Lecter lui, n’est pas parvenu à la symbolisation, d’où son cannibalisme (je ne veux pas dire par là que les cannibales sont tous dépourvus de symbolisation, mais on peut se demander quelle représentation le cannibale à de l’objet/de l’Homme ?)


Pour conclure 

Sortir de la position dépressive c’est entamer un processus de deuil nécessaire à la construction du monde extérieur et à notre relation à celui-ci. Donc nécessaire à la constitution de notre identité personnelle !


Pour résumer

La position dépressive est à la fois un stade dans le développement de l’enfant et une position que l’on retrouve à l’âge adulte si ce stade n’a pas été fécond. Il s’agit d’une étape fondamentale à la création de notre identité personnelle et notre relation au monde extérieur. L’enfant qui a constitué l’objet a peur de le perdre. Pour apaiser ses angoisses, il a besoin de jouer (sans règles imposées de l’extérieur !). Il a également besoin d’avoir confiance en sa maman d’amour. Il a besoin d’être sûr qu’elle ne va pas l’abandonner. Pour cela, il a besoin de la bienveillance, l’écoute attentive et d’augmenter (petit à petit) les moments sans maman, que maman revienne et qu’elle lui dise qu’elle va revenir (et quand). Tout cela permettra à votre bébé de 30 ans de savoir qui il est, de gérer efficacement la frustration (inhérente à la vie quotidienne !), de faire confiance en la relation et en l’autre (ne pas sombrer dans le désespoir quand l’autre sort tout seul le soir), de ne pas détruire l’autre parce qu’il s’est absenté (je suis sûre que tu as quelqu’un d’autre !), ne pas le frapper (parce que l’autre n’a pas fait comme il voulait), s’amuser tout seul (aller se balader tout seul sans l’autre plutôt que de rester enfermé en regardant Titanic avec une grosse glace pleine de sucre !), se trouver un travail sans avoir besoin de quelqu’un pour lui prendre par la main, voir l’autre dans son entier avec ses bons et mauvais côtés (je te quitte parce que tu as mis tes chaussettes au pied du lit ! Méchant objet !)… Pour conclure donc : Vive la position dépressive !

Pour les mamans qui lisent ceci : vous pouvez aller voir un film au cinéma avec le papa et faire garder bébé par une gentille baby-sitter (ou maminou ou le charmant fils de la voisine ou super nanny…), votre enfant vous remerciera plus tard ! (Heu ! Avant d’aller au cinéma, une période d’adaptation est nécessaire, 1er jour : allez juste chercher la place de ciné (pas à l’autre bout de la ville et pas sur internet) et revenez vite (bon sans stress, enfin pas trop !), 2ème jour : dites à bébé que vous allez vous acheter une jolie robe pour votre soirée ciné, 3ème jour : même chose pour le papa (heu ! pas une robe, c’est mieux), 4ème jour : allez lui acheter un cadeau (au bébé !) et offrez-lui en revenant en le félicitant de sa gestion de votre absence. Si bébé vous mord ou vous tape (NE LE MORDEZ PAS, vous n’êtes plus un bébé en position dépressive !) dites-lui que vous comprenez sa colère et que cela ne vous détruit pas et que vous reviendrait toujours parce qu’il est votre bébé d’amour (mais qu’il vaut mieux taper un coussin que les gens ! D’ailleurs, vous pouvez taper le coussin avec lui, ça détend et c’est rigolo de voir que maman aussi sent de la colère et qu’elle sait faire avec ! Un bon exemple pour futur bébé de 30 ans !). Maintenant, tout le monde est prêt, vous pouvez aller au cinéma dans votre jolie robe avec un papa ravi de quitter le nid ! Elle est pas belle la vie !
K.Danan



[1] GOLSE, B., Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, Masson, 1992, p.70-74
[2] Ibid.1