La position dépressive est marquée par "une
angoisse dépressive envers l'objet ou plutôt de la perte de l'objet"[1].
Qu’est-ce
que cela veut dire ?
1. Que
l’enfant a identifié la mère comme objet (c'est-à-dire comme différente de lui)
2. Cette
différenciation permet à l’enfant d’entrer en « relation » avec un
objet total et non plus partiel (il reconnaît la mère dans son entier et non
plus de manière « clivée » - dont les parties ne peuvent être
unifiées. Ainsi se constitue la distinction entre le Moi et l’Autre.
Quelles conséquences chez l’enfant ?
Imaginez que vous veniez de
découvrir que l’Autre est un Autre. Vous savez que seul cet autre peut vous
apporter ce dont vous avez besoin. Comme vous êtes un bébé (à ce stade), vous
ne pouvez aller travailler pour gagner de l’argent pour vous acheter à manger
et manger ! Et si vous ne mangez pas, vous mourrez ! En regardant
cela ainsi, on comprend vite que la mère – l’objet capable de me faire vivre -
soit si importante pour le bébé.
Quand on parle de la mère, on
parle de la personne qui a le rôle régulier d’apporter à l’enfant ce dont il a
besoin (ce n’est pas parce qu’elle en a le rôle qu’elle le tient. Soit dit en
passant !). La mère peut avoir un substitue de sexe non féminin. Le sexe
n’ayant pas grand à voir avec notre affaire pour l’instant ! Le bébé vient
à peine de différencier la mère de lui-même, il n’en est pas encore à la
différenciation sexuelle.
Ici donc, l’angoisse du bébé est
de perdre l’objet. Cette angoisse culmine selon Klein vers 6 mois. Autant dire
qu’à cet âge (+ou-), le bébé vit fortement l’angoisse de la perte, et ce,
jusqu’à environ un an, quand il acquiert la permanence de l’objet (encore que
cette permanence soit déjà acquise selon les études qui ont été faites). Mais
bon, si angoisse il y a, c’est que le sentiment de sécurité est fragile, voire
absent.
Que se passe-t-il dedans ?
Le bébé ressent donc l’angoisse
et ressent dans le même temps des sensations qui viennent de l’objet –
différent de lui. Sensations bonnes et mauvaises. Il prend conscience (d’une
certaine manière) de sa propre dépendance à l’objet. Les réponses que l’objet apporte
à ses besoins vont amener des sentiments d’amour ou d’agressivité. L’objet
étant toujours la source de ses gratifications et de ses frustrations (et oui !
Il ne peut toujours pas aller se chercher un job !). Du coup, sachant
qu’il est dépendant de l’objet et que cet objet n’est pas toujours bon (et
c’est tant mieux !), il va sentir de l’ambivalence : dés fois il
l’aime, dés fois il lui veut du mal (si ! si !). Il va lui arriver de
fantasmer de la détruire. Ce fantasme pouvant l’amener à un sentiment de
culpabilité : je m’en veux de détruire l’objet qui me fait aussi du bien.
Dans le dialogue interne, il peut
se dire : ce n’est pas bien de penser ainsi de ta maman qui t’aime (il l’entend
de sa propre mère.)
C’est grâce à ce dialogue interne
et à la culpabilité naissante qu’il acquiert le respect de l’objet. On ne casse
pas les jouets des autres !
Ici, l’idée de Klein diffère de
celle de Freud, en apparence. Pour Freud, la culpabilité trouve son
« origine dans le complexe d’Œdipe et se manifeste comme une séquelle de
celui-ci »
[2]. Ainsi,
pour Klein, le sentiment de culpabilité est plus précoce que pour Freud (qui
n’est plus là à cette époque !).
Les absences de l’objet peuvent
être vécues comme une disparition totale (si la permanence de l’objet n’est pas
acquise). Ce serait « horrible » pour ce bébé de perdre l’objet (je
rappelle qu’il ne peut pas subvenir à ses besoins tout seul !), d’où la
culpabilité de ses fantasmes et son désir de l’avoir avec lui, sa mère !
(il ne veut plus qu’on le fasse passer de bras en bras).
Si on en revient au fantasme de
destruction, qu’imagine l’enfant à ce stade ? Il peut imaginer la dévorer
puisqu’il est au stade oral (mettre tout à la bouche, parce que c’est
bon ! miam !) Donc si maman n’est pas là, c’est peut-être que je l’ai
mangé !? Quelle torture intérieure ! Pour ne pas vivre la torture du
fantasme, il faut donc réparer maman, enfin l’objet (prendre soin d’elle, la
recréer quand elle est absente : tiens on dira que ce gros LEGO est
maman ! Pan !) Le bébé se met à jouer. Ça fait du bien. Ça permet de
surmonter l’angoisse dépressive / ou l’angoisse de la perte et la culpabilité.
Je vous conseille donc si vous
êtes adulte et que vous êtes dans la position dépressive, de jouer, jouer et
jouer ! Jouer quoi ! Quand votre ami/e sort sans vous. Jouez !
Quand vous êtes loin de lui/d’elle et que vous vous dites : oh mon Dieu je
l’ai perdu pour toujours…jouez !
Pourquoi je dis :
« vous êtes dans la position dépressive » ? Eh bien parce que
certains d’entre nous n’ont pas encore compris que quand l’objet s’en va, il ne
s’en va pas pour toujours (bien sûr se pose la question du pourquoi l’autre est
encore objet chez l’adulte normalement devenue autonome, hein ! Heu,
j’y reviendrais).
Pourquoi c’est bien ?
L’enfant, grâce au jeu, peut
patienter et se faire du bien en attendant de découvrir (si tout va bien) que
maman revient toujours. Pour apprendre cela, il a besoin d’un ensemble de
situations ou la mère, enfin, l’objet, s’absente ET REVIENS ! Alors, maman
s’absente d’abord 30 secondes, puis 1 minutes, puis 5 puis 10 puis 1 heure,
puis 2… Elle joue à cache cache avec bébé, elle le rassure, lui explique
qu’elle va revenir et quand, en lui apprenant la notion du temps par exemple.
Mais vous allez me dire, un bébé
de 6 mois ne comprend pas ! Eh bien si ! Il comprend et même très
bien. Il comprend tellement bien, qu’il est capable de s’adapter à vous sans
que vous vous en rendiez compte. Il est pas malin ce petit bonhomme !
Ce qui est intéressant dans
l’idée de Klein, c’est :
1. De
définir la position dépressive comme un stade de développement chez l’enfant
2. D’émettre
l’hypothèse que ce stade peut se révéler à l’âge adulte, s’il n’a pas été
« résolu »
Ce que nous n’avons pas résolu,
nous cherchons à le résoudre toute notre vie ! Pfff ! Quel boulot !
Je voudrais insister sur le fait
que sortir de la position dépressive ne se fait pas seul et ne peut se faire
qu’en compagnie d’une personne qui nous permette de prendre confiance en la
permanence du lien même quand « on ne se voit pas ».
Comment apprendre ?
Comme on apprend à jouer d’un
instrument de musique : répétition, répétition, répétition jusqu’à
intégration. Donc ici, répétition d’expériences positives où l’objet revient. Bien
sûr tout cela dans la joie et la bonne humeur !
Les mécanismes de défense représentatifs
de la position dépressive sont : la dénégation, le clivage, l’idéalisation,
le contrôle (des objets internes et externes). Ces processus, utilisés par le
Moi permettent de « neutraliser » l’angoisse dépressive et la
culpabilité. Le problème, c’est que leurs effets sont limités dans le temps (si
ça marche pour résoudre une situation immédiate, cela ne fonctionne plus pour
résoudre un problème sur le long terme, il faut dire que bébé n’a pas encore la
notion du temps ! Non, non !).
Pour qu’il y ait position
dépressive, il faut qu’il y ait constitution de l’objet, mais pour sortir de la
position dépressive, le bébé doit avoir pu établir un contact avec un « bon
objet » et l’intégrer en lui. Ainsi, il aura le désir de reconstituer le
bon objet interne (c'est-à-dire sa vision intérieure de l’objet externe) et l’objet
externe (c'est-à-dire l’objet objectivement perçu). Ces activités de
réparation, qui passe essentiellement par le jeu, vont dissiper les angoisses
et le faire sortir de la position dépressive. L’enfant doit faire l’expérience
à ce stade que ces fantasmes ne sont que des fantasmes et qu’il ne peut
détruire réellement l’objet (d’où le fait de tenir bon quand bébé fait une
crise de nerfs !) Ainsi, il peut intérioriser le bon objet dont il aura
nécessairement besoin pour sa future estime de lui. Vous voyez ce que je veux
dire ? ;-)
L’importance du jeu
Le jeu permet un espace créatif
qui va servir à élaborer la sublimation et développer donc le symbolisme
(absolument nécessaire pour ne pas manger vraiment sa femme après lui avoir dit :
Mmh ! Je te mangerais bien.) Point d’inquiétude, la plupart d’entre nous,
avons acquis le niveau symbolique même si nous sommes encore un peu dans la
position dépressive ! Pour ceux qui l’ont atteint ! Ouf ! Par
contre Hanibal Lecter lui, n’est pas parvenu à la symbolisation, d’où son
cannibalisme (je ne veux pas dire par là que les cannibales sont tous dépourvus
de symbolisation, mais on peut se demander quelle représentation le cannibale à
de l’objet/de l’Homme ?)
Pour conclure
Sortir de la position dépressive
c’est entamer un processus de deuil nécessaire à la construction du monde
extérieur et à notre relation à celui-ci. Donc nécessaire à la constitution de
notre identité personnelle !
Pour résumer
La position dépressive est à la
fois un stade dans le développement de l’enfant et une position que l’on
retrouve à l’âge adulte si ce stade n’a pas été fécond. Il s’agit d’une étape
fondamentale à la création de notre identité personnelle et notre relation au
monde extérieur. L’enfant qui a constitué l’objet a peur de le perdre. Pour apaiser
ses angoisses, il a besoin de jouer (sans règles imposées de l’extérieur !).
Il a également besoin d’avoir confiance en sa maman d’amour. Il a besoin d’être
sûr qu’elle ne va pas l’abandonner. Pour cela, il a besoin de la bienveillance,
l’écoute attentive et d’augmenter (petit à petit) les moments sans maman, que
maman revienne et qu’elle lui dise qu’elle va revenir (et quand). Tout cela
permettra à votre bébé de 30 ans de savoir qui il est, de gérer efficacement la
frustration (inhérente à la vie quotidienne !), de faire confiance en la
relation et en l’autre (ne pas sombrer dans le désespoir quand l’autre sort tout
seul le soir), de ne pas détruire l’autre parce qu’il s’est absenté (je suis
sûre que tu as quelqu’un d’autre !), ne pas le frapper (parce que l’autre
n’a pas fait comme il voulait), s’amuser tout seul (aller se balader tout seul
sans l’autre plutôt que de rester enfermé en regardant Titanic avec une grosse
glace pleine de sucre !), se trouver un travail sans avoir besoin de
quelqu’un pour lui prendre par la main, voir l’autre dans son entier avec ses
bons et mauvais côtés (je te quitte parce que tu as mis tes chaussettes au pied
du lit ! Méchant objet !)… Pour conclure donc : Vive la position
dépressive !
Pour les mamans qui lisent ceci : vous pouvez aller voir
un film au cinéma avec le papa et faire garder bébé par une gentille
baby-sitter (ou maminou ou le charmant fils de la voisine ou super nanny…),
votre enfant vous remerciera plus tard ! (Heu ! Avant d’aller au
cinéma, une période d’adaptation est nécessaire, 1er jour :
allez juste chercher la place de ciné (pas à l’autre bout de la ville et pas
sur internet) et revenez vite (bon sans stress, enfin pas trop !), 2ème
jour : dites à bébé que vous allez vous acheter une jolie robe pour votre
soirée ciné, 3ème jour : même chose pour le papa (heu !
pas une robe, c’est mieux), 4ème jour : allez lui acheter un
cadeau (au bébé !) et offrez-lui en revenant en le félicitant de sa
gestion de votre absence. Si bébé vous mord ou vous tape (NE LE MORDEZ PAS,
vous n’êtes plus un bébé en position dépressive !) dites-lui que vous
comprenez sa colère et que cela ne vous détruit pas et que vous reviendrait
toujours parce qu’il est votre bébé d’amour (mais qu’il vaut mieux taper un
coussin que les gens ! D’ailleurs, vous pouvez taper le coussin avec lui,
ça détend et c’est rigolo de voir que maman aussi sent de la colère et qu’elle
sait faire avec ! Un bon exemple pour futur bébé de 30 ans !). Maintenant,
tout le monde est prêt, vous pouvez aller au cinéma dans votre jolie robe avec
un papa ravi de quitter le nid ! Elle est pas belle la vie !
K.Danan
[1] GOLSE,
B.,
Le développement affectif et
intellectuel de l’enfant, Masson, 1992, p.70-74