mercredi 29 novembre 2017

L'économie du bonheur

Il y a des gens qui pensent qu'il ne faut pas trop dépenser de bonheur au cas où il n'en reste plus après. C'est qu'ils n'ont pas compris que le bonheur, c'est comme les plantes. Si on ne l'arrose pas, il fane.
K.D

mardi 25 juillet 2017

La position schizo-paranoide

La position schizo-paranoïde


Développée par Mélanie Klein (psychanalyste 1882-1960) la position schizo-paranoïde décrit une phase dans le développement psychoaffectif du bébé (0 à 4 mois).

À ce stade bébé ne perçoit pas sa mère comme une personne entière. En psychanalyse on parle d’objet pour parler de cet autre qui a une importance primordiale pour nous dans la relation affective. Il ne s’agit donc pas de transformer une personne en chose, mais bien de définir cette personne comme apportant quelque chose à l’enfant et pour/dans/sur laquelle l’enfant va décharger ses pulsions ou les assouvir. Cette femme, objet de mon amour, n’est pas une chose, mais bien une personne. Néanmoins, elle existe en tant que personne qui répond à un besoin de contact, d’amour ou tout autre besoin. Plus l’objet est perçu dans sa globalité, avec ses défauts et ses qualités, ses forces et ses faiblesses, ses particularités, plus il sera considéré comme entier. L’objet sera complet et non plus partiel. Le bébé de 0 à 4 mois (environ), selon Klein, considère sa mère (ou son substitut) non entièrement. Il l’a considère en fonction de ses désirs et de ses besoins. À ce stade bébé a besoin de bras pour le bercer, d’un sein (d’un biberon, d’une cuillère) pour le nourrir, d’un regard dans lequel se plonger, et de stimulations pour développer son cerveau et sa musculature. Il va donc considérer cet objet (mère) en fonction de ses besoins. J’ai faim = je veux un sein pour me nourrir. J’ai peur = j’ai besoin de bras pour me rassurer… Pour assurer sa survie, il développe des processus psychiques particuliers qui sont dépendant de la maturation de son petit cerveau déjà bien créatif. Le bébé fonctionne au départ de façon binaire. J’ai faim, je veux manger, j’ai besoin d’un sein. Si le sein arrive et qu’il est bon, le bébé se sent bien et considère l’objet (sein) comme bon (ce qui l’aidera à se sentir bon lui-même par la suite). Si le sein n’arrive pas, n’est pas bon ou est difficile d’accès, le bébé se sent mal, il a faim, et considère cet objet (sein) comme mauvais (et finira par se sentir lui-même mauvais). Ce binarisme s’appelle le clivage. Cliver signifiant couper en deux. Deux compartiments opposés existant sans influence. Une image pourrait être celle de ses boites à deux clapets ; si l’on ferme un clapet, l’autre s’ouvre. Les deux ne pouvant s’ouvrir en même temps. L’objet (l’autre) est donc considéré comme bon ou mauvais plutôt que bon ET mauvais à la fois.

L’adulte étant resté dans la position schizo-paranoïde aura tendance à voir l’autre en tout ou rien, bon ou mauvais, gentil ou méchant. Je l’aime, je le déteste. C’est mon meilleur ami, c’est un inconnu. Selon les moments. Selon les situations. Le clivage est donc une vision de l’objet soit bon, soit mauvais. Imaginez que ce soit bon. Pas de problème. Imaginez que ce soit mauvais. Aïe. Cela est douloureux. Très douloureux. Imaginez-vous dépendre d’un autre pour manger. Imaginez que vous ayez très faim. Imaginez que cet autre ne vous donne pas à manger. Comment vous sentez-vous ? Probablement mal. Comment sentez-vous l’autre ? Probablement que vous allez finir par lui en vouloir. Peut-être même le haïr. Peut-être fantasmer de lui faire du mal tellement vous avez faim (identification projective). Le problème, c’est que vous avez bien compris que si vous lui faites du mal, vous n’aurez plus personne pour vous nourrir ! Un dilemme insupportable. Vous ne pouvez pas vous autodétruire non plus. Pour réfréner ses fantasmes de destruction de ce mauvais sein et de l’angoisse de le perdre, bébé va projeter dans l’objet sa propre haine. Ainsi, l’objet porte la haine en lui. Cela ne règle pas le problème de la faim, mais bébé reste intègre. L’objet devient alors ce méchant monstre qui pourrait le dévorer (comme il l’aurait bien dévoré), le couper en morceau (comme il l’a fantasmé le faire sur le sein), l’intruser (comme il a rêvé le prendre quand il veut sans demander la permission). Bébé va alors faire son « parano » en croyant que puisque le sein ne vient pas, c’est parce que ce sein est méchant ou le considère comme méchant. Bébé rêve de puissance. Il va falloir qu’il patiente un peu. Ou pas. Bébé n’est pas un meurtrier grâce au fait qu’il réussit à mettre la haine dans l’objet. Mais la conséquence est que bébé se sent victime de l’objet persécuteur ! Parfois, il va se laisser aller à mordre, peut-être à taper. Mais pour l’instant, il ne peut pas, alors il vit seul avec ses fantasmes de persécution ou il est persécuté par ce méchant objet qui ne lui apporte pas ce dont il a besoin. Il est impuissant et n’a pas encore la possibilité de trouver des excuses à ce sein (ou biberon). Il pleure, il hurle. Si rien ne vient, la haine va se développer en silence, le besoin va devenir si fort tout en ne pouvant rien faire pour arranger cela. Si cela continue, il va se laisser mourir de faim, seul dans sa bulle de fantasmes. Adulte, il aura tendance à rêvasser plutôt que de s’activer pour obtenir ce dont il a besoin. Il aura tendance à se détourner des gens qui lui font mal sans vraiment rompre le lien ou de façon invisible. Il rêvera d’une princesse charmante ou d’un prince charmant bon, aimant. Il ne le trouvera pas car à chaque fois que l’autre ne répondra pas à ses attentes, il se dira que cet autre est mauvais, méchant, inintéressant ou qu’il lui en veut… L’adulte qui a gardé cette expérience de manque, de vide, pourrait ressembler au naïf qui ne regarde que le bon côté sans jamais voir le mauvais. Mais au moindre faux pas de la part de l’autre, c’est terminé, next, il passe à autre chose. Ressentir à nouveau cette frustration, ce vide, ce manque est insupportable. Les critiques, les conflits, l’humour sarcastique est insupportable. Il pourra vous paraître dans la lune, lointain, incapable de parler, lunatique, borné, solitaire… Comprenez que c’est parce qu’il ne veut pas vous faire de mal qu’il préfère s’enfermer dans sa bulle de fantasme. Il ne peut exprimer sa colère envers vous pour vous garder bon. Il ne réussit pas à vous considérer dans votre entièreté, avec vos bons et vos mauvais côtés. Il ne veut garder de vous que le bon. Alors, il fera tout pour vous garder bon. Réjouissez-vous de rencontrer un schizo-paranoïde, car il fera de vous son prince ou sa princesse, quitte a souffrir intérieurement. Quitte à fantasmer de la violence. C’est un adulte fidèle et loyal. Vous le quitterez avant qu’il ne vous quitte. Sauf s’il s’épuise. Son angoisse est de vous détruire, d’être intrusé, coupé en morceau, persécuté. Il cherchera donc à éviter le conflit, les mauvais moments et de faire du mal à l’autre. Le schizo-paranoïde est possessif, exclusif, mais pas jaloux. Quand il a un ami, il a un ami. Il est prêt à tout pour garder intacte la relation. Il préfère souffrir que faire souffrir. Il peut être harcelé sans rien dire, en supportant jusqu’à l’épuisement. Il est souvent caméléon et prendra rapidement les expressions, l’accent, les manières d’une personne qu’il aime ou qu’il admire parce qu’il cherche à avoir des qualités plutôt que des défauts. Il peut attribuer à l’autre des défauts qui sont les siens. Imaginer que vous lui voulez du mal, que vous l’oubliez, que vous ne l’aimez pas au moindre faux pas. Vous serez étonné de le voir se renfermer parce que vous avez oublié sa fête, son anniversaire, parce que vous ne l’avez pas appelé depuis une semaine. Mais jamais il ne vous le reprochera sauf si vous le mettez vraiment en colère. Si c’est le cas, il partira, se renfermera pour ne pas vous transformer en crapaud. Le schizo-paranoïde quitte ceux qu’il aime parce qu’il les aime. Il ne déteste que peu de gens. S’il vous insulte c’est qu’il ne vous n'êtes pas important pour lui ou que vous êtes la goutte d’eau qui a fait débordé le vase.

Revenons au bébé. Il va grandir et sa compréhension, sa réflexion, ses conclusions vont évoluer. Dans le meilleur des cas, il va finir par accepter l’impuissance qui est la sienne, comprendre la difficulté de l’autre, voir l’autre avec ses bons et ses mauvais côtés comme un être entier et passer à un autre stade, celui de la position dépressive (voir article). N’oublions pas que nous ne pouvons mettre les gens dans des cases. L’adulte peut présenter une position schizo-paranoïde dans certaines situations ou avec certaines personnes et une position dépressive dans d’autres situations et avec d’autres personnes. La pathologie commence quand la position devient rigide et empêche la personne de mener sa vie comme elle le souhaite. Au pire le bébé schizo-paranoïde va évoluer vers une pathologie schizophrène (avec délires de persécution, hallucinations, épisodes de violence…), vers une personnalité schizoïde (avec une vie sociale pauvre, un monde fantasmagorique riche, une vie émotionnelle sensible…) ou une personnalité paranoïde (avec des idées de persécutions, une méfiance de l’autre acérée…). Dans le meilleur des cas, la position schizo-paranoïde est une étape nécessaire au développement. Le clivage étant la prémisse de la différenciation, l’identification projective la prémisse de l’empathie, l’idéalisation celle de l’admiration, de l’amour et du développement de valeurs profondes.

Karine Danan
  

Liens :

- http://www.etude-psy.fr/128-autre_article/61-position_schizo_paranoide_d%C3%A9finit_par_Klein.html
https://psychomag.blogspot.fr/2016/09/la-position-depressive-sous-loeil-de.html

vendredi 9 juin 2017

Deuil d'une méconnaissance

Ce mardi matin, encore à peine éveillée, je laisse ma voiture à la révision. J'ai en tête le montant de la facture que le garagiste m'avait donné au téléphone le jour de la prise de rendez-vous. Dans la méconnaissance d'un éventuel surcoût du à l'usure de mes pneus ou de mes plaquettes de frein, je m'en vais le cœur léger prêt à payer la facture. Mercredi matin, me revoilà au garage, pressée de reprendre ma voiture et entamer ma journée de consultation. Le couperet tombe. Une somme presque inaudible me brouille les oreilles. "Il a fallu changer les plaquettes de frein qui étaient usées". Je me souviens du prix de la dernière révision à peine trois mois plus tôt et me demande ce qui avait été fait alors. Peu importe, je vérifierais la facture à tête reposée. Pour le moment, il est 8 heures du matin et je sors de mon sommeil brusquement avec un arrière-goût de dégoût. Je vais ruminer le temps du retour. Et sentir comme une légère souffrance toute la journée. Voilà une situation anodine de la vie quotidienne.
Quelques jours plus tard, je regarde des films de ma fille. Son premier jour, ses trois mois, six, douze. Nostalgie d'un temps passé. Après coup, je sens un sentiment étrange de mal-être sur lequel je ne mets pas de sens. Les jours passent, le sentiment reste comme une lame de fond à peine visible de l'extérieur. Il m'a fallu quelques jours pour comprendre ce qui m'arrivait.
Je me suis vue sur ses vidéos. Vue dans ce que j'appelle ma première vie. Celle d'avant. Celle où je me trouvais dans la méconnaissance.
"Comment ça serait si vous changiez cela ?"
"Je serais heureux !"
Cette question provoque souvent la même réponse chez mes patients. S'ils changeaient, cela serait toujours mieux que maintenant. Et pourtant, les jours, les mois, parfois les années passent et le bonheur n'est toujours pas pleinement au rendez-vous. Qu'ils aient cru ou non que cela serait facile, court ou difficile, il arrive un jour où le voile tombe.
"Je ne comprends pas pourquoi je suis si triste alors que maintenant tout va mieux !"
Je dois dire que j'ai toujours trouvé les mots face à cette réflexion.
"Vous avez vécu 20 ans, 30 ans, 40 ans, d'une certaine façon, le changement est une chose complexe, peut-être difficile à vivre, malgré le bonheur ressenti".
Cela était suffisant souvent. Mais nous laissait au client et à moi comme une explication bien courte. Superficielle. Pas à la hauteur du vécu intérieur.
Lever une méconnaissance. Quelle joie ressentie au moment de passer à l'action, de se sentir tout à coup capable de faire différemment. De récolter les fruits de ce temps passé sur le divan. Et en même temps quelle peur, colère ou tristesse, a-t-il fallu vivre? Lever une méconnaissance, c'est reconnaitre la difficulté que l'on aurait vécue si nous n'avions pas été dans cette méconnaissance. Comme ce couperet du prix de la révision. J'aurais pu poser la question avant. Je n'avais pas envie d'entendre la réponse. Cette réponse qui fait mal.
J'aurais pu ne pas inviter cette personne chez moi, filmé auprès de ma famille. Mais, si je l'avais fait, il aurait fallu affronter la douleur de la connaissance des raisons de ce dégout. Mieux valait souffrir sans savoir pourquoi. Laisser le qu'en-dira-t-on faire son travail. Savoir, c'est avoir conscience à la fois de la situation, de l'importance qu'elle a pour nous, du problème qu'elle nous pose, de la douleur, de l'injustice, de l'impuissance ressentie. Il est bien plus facile de s'autodétruire ou de détruire les autres sans savoir que de nous sentir l'objet de ce que nous ne pouvons pas maîtriser, que de faire fasse aux conséquences de la connaissance. "Bienheureux les innocents " : dit-on. Ce n'est pas qu'ils sont heureux, c'est qu'ils souffrent sans sens. Comme un vécu inévitable, inchangeable. Le sens est à la fois ce qui fait souffrir et ce qui permet de découvrir, d'imaginer des options. La souffrance a accompagné les plus grandes œuvres. L'Art aurait-il pu exister dans souffrance ? Combien faut-il de doses de confiance en soi, en l'autre, au monde. Combien faut-il se sentir capable d'affronter ce qui fait mal ? La colère contre soi, la tristesse de soi, la peur de l'autre, le dégoût du monde... Pourtant, cette même colère, cette même tristesse sont les précurseurs du changement. Tant que je ne sais pas pourquoi je souffre, je continue de souffrir dans savoir. Quand je sais pourquoi je souffre, je sais en même temps le prix que cela va me coûter. Cela fait mal et je sais d'avance que cela va faire mal. J'ai déjà eu mal et préfère peut-être éviter de réitérer l'expérience. Pourtant, c'est en sachant pourquoi je souffre que je peux arrêter de souffrir. Faire ce choix difficile. Lever une méconnaissance, c'est sans doute accepter le deuil à faire. Le deuil de la méconnaissance elle-même. Celle qui nous protégeait des émotions qui y sont liées. C'est accepter le temps qui va passer dans ce deuil, le travail qu'il va falloir accomplir. Sortir de la méconnaissance est la porte de sortie du scénario. Quitter la maison n'est jamais facile. Personne n'a dit que cela l'était.

La thérapie au long court est un sport de haut niveau qui demande de la motivation, des ressources, de la volonté, du temps et de l'espace, de l'entrainement, de la répétition, de la régularité et surtout une relation respectueuse et bienveillante, neutre, confidentielle, stable, sécure. On ne devient pas champion du bonheur sans entrainement au bonheur, voire sans une dose de souffrance. Suis-je dans la méconnaissance ? Chacun a le droit de choisir où il s'arrête dans ce travail de décontamination. Chacun a le droit d'être là où il se pose et de respecter le chemin de l'autre, de là où il se trouve dans ses propres méconnaissances.

jeudi 8 juin 2017

Le moi, le rôle et la personne : différences et interférences

Notes et réflexions d'après l'article d'Alain Crespelle – A.A.T 52- Octobre 1989 – p.173

Ici, nous étudions le concept de rôle à différencier de la personne et du moi. Nous verrons également comment le rôle et le moi peuvent entrer en conflit en fonction d’autres éléments tels que : les enjeux, les besoins, le statut, les positions relatives, les états du moi, les interactions…

La personne = le moi + le rôle + le projet

Vous savez que vous êtes vous. Pourtant, parfois vous dites : je n’ai pas l’impression d’être moi ou je ne suis pas moi… Et cela vous le dites en vous sentant mal. Cela fait beaucoup d’énergie dépensée à cacher ce que vous êtes en jouant un rôle en même temps. Si vous n’aimez pas le mot rôle, en voici la définition du Larousse :
1.       Ce que doit dire ou faire un acteur
(C’est celle que la plupart d’entre nous retiennent = faire semblant)
2.       Fonction, influence que l’on exerce
(C’est celle dont nous parlons ici)

Nous pouvons déjà distinguer le moi du rôle. Le rôle étant lié à la fonction et le moi à l’être. La personne devenant alors l’addition des deux dans un projet multiplié par les enjeux, les besoins…

Nous pouvons distinguer le moi du rôle que nous jouons dans le projet. Le projet étant ce que nous faisons (ensemble ou dans un ensemble puisque nous ne vivons pas seul sur une île déserte). De ce projet nait un enjeu, plus ou moins fort. Cela peut être de gagner, de perdre, d’avoir, de réussir ou d’échouer.

Les interactions que nous avons avec les autres vont influencer le rôle, le moi et l’enjeu. Attention, l’interaction n’est pas la relation. L’interaction est ce qui se passe entre moi et l’autre dans l’institution (au bureau, dans la cuisine, en réunion, avec son thérapeute, avec ses amis…). Dans l’interaction, je suis dans le rôle face à un autre lui-même dans un rôle : le professeur et son élève, le patron et l’employé, la boulangère et le client… La relation, elle, parle de l’aspect psychologique et affectif de l’être ensemble (moi + toi = amour).
Bien sûr la relation et l’interaction sont en corrélation. C’est bien moi dans mon rôle de thérapeute. C’est pour ça que je suis unique, différente de mon confrère, lui-même unique en son genre. Ces interférences que sont le rôle sur le moi, le moi sur le rôle, l’enjeu, l’autre, définissent en grande partie notre fonctionnement. Même si je suis joyeuse, je ne vais pas sauter partout dans mon cabinet. Et si je suis triste, je ne vais pas me mettre à pleurer. Je vais attendre d’avoir fini ma journée de travail. Je suis dans mon rôle de neutralité, d’accueil, d’analyse… (cela ne veut pas dire que je joue à être thérapeute au sens d’être actrice (play), cela signifie que j’ai une fonction : psychopractien (part). L’un et l’autre interagissant et formant la personne que je suis.

Ainsi, je peux agir, réagir, penser, sentir, vouloir différemment en fonction du projet, du rôle ou du moi, de la situation, des personnes avec qui je suis tout en continuant d’être moi ! C’est la grande question posée sur la personnalité. La personnalité n’étant pas la personne.

Voyons ce qui nous fait si différent tout en étant toujours nous. Notre comportement, nos façons de penser, nos sensations, nos émotions dépendent de la façon dont nous nous percevons vis-à-vis de l’autre, comment nous percevons l’autre, l’estime que nous avons de nous vis-à-vis de cet autre ou de la situation, de la situation elle-même, des qualités que nous attribuons à nous-mêmes et aux autres ou à la situation (savoir, beauté, savoir-faire, habileté, argent, couleur, handicap…). Nous pouvons alors nous sentir supérieur, inférieur, égaux.

« Nous serions donc les supérieurs ou les inférieurs des autres à raison de ce qui nous différencie. »

De ce qui nous différencie, pas vraiment, plutôt en fonction de l’enjeu que nous mettons dans cette différence ou du jeu auquel nous jouons, jeu duquel nous pensons que nous sortirons gagnant ou perdant.

Plus loin, l’auteur de l’article évoque que la parole est une source de sens, qu’elle dissipe les peurs et les opacités (ce qui est opaque, confus, mal visible), elle engendre la tolérance. Elle permet également de ne pas confondre le rôle et la personne, l’enjeu de la victoire ou de la défaite, la vie et la mort. La parole, celle qui se dit. Celle qui clarifie.

L’enjeu est lié à une épreuve. Cette situation, cet événement que nous allons vivre, que nous vivons ou que nous avons vécus. L’épreuve peut être vécue comme une compétition avec des enjeux. Pour que l’épreuve ne devienne pas la compétition, elle doit contenir des règles claires ou elle doit comprendre un arbitre auquel cas « naît la peur des conséquences de l’échec et se développe le népotisme, les abus et l’iniquité ». La règle est la loi, une loi protectrice et non contraignante.
Ainsi, ce feu rouge qui nous empêche de passer quand bon nous semble, n’est pas seulement un rempart contraignant, il est aussi une protection. Il nous protège de l’accident parce qu’un autre au carrefour pourrait tout comme moi vouloir passer à tout prix. Qui de nous deux passera le premier, comment arbitrer sans arbitre. Sans feu, les faibles passeront après ou seront liquidés et Darwin aura son dernier mot. Nous pouvons tout à fait laisser l’homme se tuer ou en prendre le risque, laisser ceux qui se sentent supérieurs diriger, ceux qui ont la volonté de diriger abuser. Ou nous pouvons inventer un arbitrage humaniste qui ne nous laisse pas abusés, ni nous entre-tuer. Instaurer des règles protectrices. Cela est valable pour nous-mêmes. Parce que nous-mêmes vivons nos propres conflits intérieurs. Le rôle est ainsi parfois en compétition avec le moi, avec le statut…

Pour rester affranchis des jougs de la compétition, nous pouvons répondre à ces questions :
1.       Dans cette relation (à l’autre, au travail, au monde, à un projet) que puis-je craindre pour moi quand cette relation sera finie ?
Réponse :           De souffrir, d’être triste, de perdre, de me retrouver seul…
2.       Suis-je prêt à échouer dans cette entreprise sans me déconsidérer ?
Réponse :           Oui, je peux échouer sans me traiter d’incapable.
Non, je vais me dire que je suis un incapable.
3.       Suis-je prêt à gagner sans déconsidérer les autres ?
Réponse :           Ah ah ah, ce sont tous des incompétents !
                               Oui, parce que ce que je fais, je le fais avant tout pour moi-même.

Si je suis prêt à être triste sans me traiter d’incapable et traiter les autres de nuls, alors ma tristesse fera son chemin. Si au contraire, je reste dans la colère de ma défaite, je tournerais en rond dans celle-ci et resterai dans la compétition avec moi-même. Je pourrais glisser dans le désespoir et me prouver que j’ai bien raison de penser ce que je pense de négatif de moi, des autres ou du monde.

Qui n’a jamais eu de défaite ? Connaissez-vous une personne de près ou de loin qui a déjà échouée ? Si oui, alors vous savez qu’il y a au moins une personne qui a connu la défaite. Connaissez-vous au moins une personne qui s’est sortie de cette défaite ? Si oui, alors vous prouvez qu’il est possible d’en sortir. Si une personne l’a fait, c’est que vous pouvez le faire. Si personne ne l’a déjà fait, vous pouvez quand même tenter le coup.
Quitter la compétition, c’est souvent, parfois entrer dans le doute.

« Le doute fortifie l’homme sage s’il ne s’en sert pas contre lui »

Ainsi, je peux douter sans me taper sur la tête. Ainsi, je me rends plus fort et capable de réussir et non de gagner. On ne gagne pas sa vie comme on dit, on la réussit. Seul le fou peut escompter gagner sans prendre de risque. Le risque fait partie de la réalité du non fou, de vous, de moi, des gens. Personne n’a dit qu’il n’y avait aucun risque, le croire c’est croire au père Noël, sombrer dans le pessimisme c’est se servir du doute pour s’enfoncer, c’est croire à la sorcière. Dans ces deux extrémités, nous ne sommes plus dans le réel.

Selon J.Stoetzel, la relation interpersonnelle est dépendant d’un contexte social, d’une institution, d’une culture.

Exemple : Je me souviens de mon arrivée dans la région et de la question de mon patron : Es-tu timide ?
Non ! (Je ne crois pas l’être). Alors pourquoi ne vas-tu pas serrer des mains tous les matins ? Je ne savais pas les meurs et coutumes ! Ma réponse l’a laissé sans voix. J’ai fait le choix d’intégrer cette institution et cette culture qui n’était pas la mienne. Du sens, je n’en ai pas mis, car j’ai gardé en moi (et non dans mon rôle) le non-sens de cette pratique et le sens d’une autre qui consistait à dire simplement bonjour. Chacun recevant le bonjour avec gratitude parce que c’est ainsi que l’on fait chez nous. Ce n’est pas le cas ici et notre façon de dire bonjour n’a pour eux pas de sens. Nous confrontons nos différences. Je restais profondément ancrée dans ma culture tout en m’adaptant dans mon rôle à mon environnement présent. Assez rapidement et sans effort cette culture est devenue une nouvelle part de moi, du rôle et finalement de ma personne. Quand je retourne dans mon ancien environnement, je redis bonjour avec simplement ma voix. Quand je reviens ici, je retends ma main. J’ai intégré la différence, non dans une adaptation à l’enjeu, mais dans la mesure des conséquences sociales d’une non-acceptation de la différence.

Le projet institué est la situation sociale (familiale, politique, professionnelle, culturelle…) et il oriente la vie des personnes. Ainsi, depuis que je serre des mains tous les matins, j’ai découvert des gens que je ne connaissais pas et que je n’aurais jamais imaginé connaître. Ma situation sociale a changé. Bien ou pas ? Peu importe pour l’instant. Ce qui importe est de savoir qu’il n’y a pas de relation interpersonnelle sans projet institué.

Le rôle existe parce qu’il y a un rapport entre un actif et un réactif (le client et le thérapeute, le patient et le médecin, le professeur et l’élève…) Le projet détermine le rôle et c’est de ce projet – et de ce rôle – que naît l’enjeu de perdre ou de gagner, de réussir ou d’échouer. Si je n’avais pas serré des mains ici dans ce projet institué, j’aurais été évincée, mise de côté, sortie de la situation sociale.

L’enjeu du rôle ne doit pas être confondu avec l’enjeu existentiel. Ce dernier est lié à notre soif de stimuli, de caresses et de structure. L’enjeu peut-être d’être acceptée, reconnu, rejeté, dénié, préféré ou négligé. Je dois avouer que l’enjeu existentiel qui m’a fait accepter le projet était d’être non rejeté. Je ne dirais pas acceptée, car ce n’est pas cela qui était/est ma recherche, mais bien d’être là sans être rejeté, juste là où je suis, dans la liberté ressentie d’être là où je souhaitais être.

Cette distinction entre l’enjeu existentiel et l’enjeu lié au projet me semble primordial. Parce que ce que je fais dans mon rôle n’est pas toujours en adéquation avec moi.
Exemple : Dans mon rôle de praticienne, je ne me sens pas l’envie, le désir ou même la possibilité de juger un client qui viendrait me faire par d’une valeur que je ne partage pas. Je l’accepte comme il est avec bienveillance. Certes parfois, il peut m’agacer, mais qui agace-t-il ? Le thérapeute ou le moi ? Revenons à ce client dont les valeurs ne sont pas en adéquation avec le moi. Comment pourrais-je être dans mon moi tout en l’aidant à être. Si j’étais dans mon moi, je lui dirais qu’il a tort ou tu ne vois pas que tu fais souffrir ton entourage en faisan cela. Dans mon rôle je lui dis : Qu’est-ce qui fait que c’est cela que vous croyez ? Est-ce bon pour vous ? Pour votre entourage ? Est-ce cela que vous voulez ? Étonné de ma question, il me répond, je ne sais pas si c’est cela que je veux, mais c’est cela que je dois faire ! J’entends ici le rôle parler. Mon travail consiste à l’aider à clarifier, à distinguer le rôle du moi afin qu’il puisse s’apercevoir probablement de l’impasse dans laquelle il est, impasse qui le mène ici devant moi : je dois le faire/je n’ai pas envie (que diront les autres de ma personne si je ne le fais pas).

Quand quelqu’un dit : Je n’ai pas l’impression d’être moi-même, c’est un indice que cette personne reste accrochée au rôle et aux enjeux existentiels. Je veux gagner pour être reconnu. Quand je gagne, je n’ai pas l’impression d’être reconnu puisque c’est le rôle que l’on reconnaît et non le moi (mon existence propre). Chacun cherche avant tout à répondre à ses soifs existentielles. Le rôle vient appuyer ou malmener ses soifs. Dans le meilleur des cas, le rôle appuie.

Le rôle que l’on tient dépend du statut que l’on a (décor ou facteurs périphériques). Le statut = signes extérieurs (cadre de vie, voiture, fonction, rang, appartenance…)

Je me sens OK avec moi quand les enjeux sont comblés
Vitaux, fondamentaux
Manger
Dormir
Boire
Bouger

Existentiel
Caresses
Structure
Stimuli

Rôle
Réussir
Échouer
Gagner
Perdre

Statut
Fonction
Rang
Cadre de vie
Je me sens OK avec les autres ou le monde quand les EDM sont en accords avec les positions relatives
EDM
Valeurs
Règles
Lois
Désir
Objectivité

Positions relatives
Supérieure
Pairs
Inférieure

Positions de vie
+/+
+/-
-/-
-/+

Je me sens OK quand tout cela s’additionne. Je ne me sens pas OK quand ces niveaux sont en désaccords.

Imaginons que vous ne pouvez pas accéder à vos besoins vitaux (manger, dormir…), il est fort probable que vous vous sentiez mal sauf si peut-être tous les autres niveaux sont au beau fixe. On dit bien qu’on peut vivre d’amour et d’eau fraîche. Oui, mais ça ne va qu’un temps, il faudra bien à un moment combler ces besoins fondamentaux auquel cas la maladie ou la mort montrera le bout de son nez.

Attention : Il ne faut pas confondre les positions relatives et les positions de vie. Les positions de vie sont des positions personnelles (globales) stables établies dans l’enfance. Ainsi, je peux de façon générale avoir tendance à me positionner dans le -/+ et pourtant dans une situation donnée ou avec une personne en particulier, je vais entrer dans une position relative supérieur/inférieur. La position relative est liée à la situation, pendant que la position de vie est liée au scénario. Bien sûr, si je me mets à jouer, je vais mêler les deux ! La position relative peut changer au cours d’un échange et dépend du contexte, du statut également.

Les indicateurs de statut sont les insignes, les uniformes, les privilèges (VIP), les handicaps, les marques de savoir (professeur, sachant…), de savoir-faire…

Les interactions peuvent donc être :
1.       Complémentaires égales : pairs
2.       Complémentaires inégales : supérieur/inférieur
3.       Croisées supérieures : Supérieur/Supérieur vers inférieur/inférieur
4.       Croisées inférieures : inférieur/inférieur vers supérieur/supérieur

Le mal-être vient d’un décalage entre position relative et EDM et de la confusion des enjeux
Exemple : Être reconnu en ayant un poste plus élevé. Se dire que nous ne sommes plus aimés parce que notre formateur préféré ne nous a pas donné notre diplôme.

Plan de traitement pour les thérapeutes : Caresses négatives conditionnelles, caresses positives inconditionnelles, permissions à volonté.

« Tout système vivant doit s’organiser pour survivre
et la structure hiérarchique est une forme universelle de l’organisation »
Ainsi, personne n’a dit que la vie était simple. Si vous la voulez simple, mettez-vous au travail ! Ou valorisez les différences par le contact et l’attachement, la recherche de l’autonomie, la coopération et le respect.

K.Danan



A méditer

"L'harmonie s'obtient par la confrontation et le dialogue et non par le silence et le déni de soi"[1]



[1] FILLOZAT I., Au cœur des émotions de l’enfant, JC Lattès, 1999.