Réflexions sur le protocole d’après l’article de STEERE,
David, Le Protocole, AAT vol.11 n°41
Éric Berne, définit le protocole
comme « le drame familial à conclusion insatisfaisante, qui est joué pour
la première fois dans les toutes premières années de la vie ». (Avant 2
ans selon Steere).
Dans Analyse transactionnelle et
psychothérapie, Berne, définit le scénario comme « le drame familial qui
s’est joué pour la première fois sans les premières années de la vie du patient
sans aboutir à un dénouement satisfaisant[1] ».
Il s’agit de l’expérience originelle d’où découlent les réactions de transfert.
Le scénario proprement dit étant un dérivé préconscient du protocole. Ce
scénario est ajusté aux possibilités réelles grâce aux techniques d’adaptation.
C’est ce scénario adapté que le patient tente de représenter dans la vie réelle
en manœuvrant (inconsciemment) les gens qui l’entourent.
Pour Berne (1977), le protocole
constitue le squelette du scénario. Il est le programme initial, qui par le
manque d’expérience, de connaissances, de maturité psychologique et cognitive
devra être mis à jour avec les années, par une « version plus
civilisée » qu’on appelle communément en analyse transactionnelle, le
scénario. L’enfant ne sait pas encore comment les choses fonctionnent[2]
et il ne peut donc clarifier son expérience au temps t. Il faudrait pour cela,
un adulte qui donne du sens aux éprouvés corporel de l’enfant[3],
comme un miroir qui contient l’expérience et qui permet à l’enfant la création
et l’organisation de représentations réparatrices. Le protocole est basé sur
cet évènement déplaisant qui n’a pu être clarifié/retraité ou subjectivé par la
suite.
« Quand nous acceptons profondément ce que nous sommes, en nous
sentant vraiment compris par un autre, alors nous commençons à changer[4] »
Pour Berne, le protocole est
inconscient, car en partie oublié. Oublié de la conscience, mais non du corps
et du vécu. Il existe là quelque part, inscrit dans le corps et dans le ventre.
On sait que ce qui est de l’ordre de l’inconscient s’inscrit à travers le temps
comme n’ayant pas de temps tant que la parole ne lui donne pas ce temps. Le
temps subjectif n’étant pas le temps de l’horloge, ni le temps de l’espace. Ainsi,
je présuppose qu’au-delà de ce qui est de l’ordre du conscient, le temps
chronométrique n’est plus. L’évènement reste comme figé tant qu’il n’accède pas
à la conscience pour l’historiser et le situer dans l’espace et le temps. Ce
qui a été est encore quelque part inscrit et visible dans le corps, le
mouvement, la sensation, l’émotion, mais inconscient à la conscience
verbalisable.
La suite de l’article de Steere
montre, comme ce que dit Berne du protocole, que nous pouvons accéder à
celui-ci par l’observation des manifestations corporelles. Berne, pense que le
scénario est préconsicent, il entend par là qu’il est juste à la porte de la
conscience et qu’il est possible de le mettre à la conscience par des
techniques appropriées.
Pour Cornell et Landaiche, le
protocole est « un souvenir profond, contraignant et implicite, qui est
revécu au niveau de l’immédiateté de l’expérience corporelle. [5]»
Ainsi, le corps revit le souvenir. Et le comportement associé peut interférer
sur la capacité à faire différemment, c'est-à-dire à adapter son comportement à
la situation de l’ici et maintenant.
Selon Steere, le protocole est
« le programme primitif qui gouverne le déroulement de la vie du
client ». La personne cherche à retrouver et amplifier les bénéfices de
son expérience originelle. Re produire ce qui s’est déjà passé, mais qui a été
en partie oublié (ou plutôt refoulé dans l’inconscient, car la mémoire de la
scène originelle reste en mémoire – une mémoire non verbale donc non nommable
directement).
Les souvenirs liés à l’expérience
originelle sont réprimés. Le scénario reproduit donc le protocole sous une
forme adaptée aux situations réelles d’aujourd’hui. Dans ce scénario, les
personnes qui entourent le client, jouent les rôles respectifs des personnes
réelles qui étaient présentes dans la scène originelle.
On peut apercevoir la structure
du protocole en regardant les séquences de comportements corporels de la
personne. Ces séquences de comportements sont interprétées comme des signes
scénariques. Selon Berne, un geste, une posture, un maniérisme, un tic ou un
symptôme peuvent être des signes scénariques et donc des reliquats du
protocole. Ces séquences particulières
et stéréotypées indiquent que le client est dans son scénario ou qu’il y est
entré.
Le signe n’est pas le scénario,
ni le protocole, il est une porte qui s’ouvre sur le scénario et le protocole.
Signe qui renvoie à l’expérience infantile archaïque de la personne. Ainsi, un
signe associé à un autre signe, à un autre signe déroule et forme l’ensemble du
processus scénarique.
Steere appelle donc protocole, la
séquence de comportements corporels, signes scénariques ou séquence d’attitudes
(scénariques).
Les sentiments parasites sont des
comportements appris, associés au scénario qui entretiennent un état émotionnel
récurrent. Pour C. Steiner, le sentiment parasite représente le bénéfice du
jeu. Pour Berne, il permet de justifier ce que le scénario invite à faire. Il a
à voir avec les décisions de scénario et répond aux injonctions parentales. Il
sert également à extorquer des SDR + ou – selon le scénario de la personne.
Pour Fanita English, le sentiment parasite est exprimé à la place du sentiment
naturel et originel inacceptable par le parent. Le sentiment parasite étant
plus acceptable que le sentiment authentique. Pour Erskine et Zalcmann, le
sentiment parasite est intégré à un système de croyances, de sentiments, de
manifestations parasitaires et de souvenirs renforçant. Fanita English pense
que le jeu n’apparaît que si le sentiment parasite échoue à susciter la
réaction coutumière.
Exemple théorico-pratique : Quand j’ai peur, maman me raconte
une histoire ou me tient la main. Il
arrive que je ressente que ce geste de maman ne fait pas baisser ma peur,
mais au contraire la renforce. Je comprends donc qu’exprimer ma peur ne permet
pas à maman de me protéger. Je me sens peut-être triste que maman ne
puisse me protéger. Je vais donc exprimer ma tristesse et étonnamment quand je fais cela, j'obtiens un signe de reconnaissance plus agréable que
précédemment. Je comprends que la tristesse apporte plus de solutions que la
peur. Je vais donc exprimer ma tristesse à la place de ma peur. Imaginons, qu’un
jour de peur, maman ne me réconforte pas comme j'en ai besoin et que je ressente
de la colère. Je l’exprime et obtiens plus de SDR en moins de temps que j'en en
ai obtenu avec la tristesse. Alors, je vais peut-être exprimer la colère à
la place de la peur. Et si rien ne marche, je pourrais toujours devenir folle,
dépressive ou me renfermer dans un mode autistique. Cette dernière tentative me
protège des réponses inadaptées de ma mère (mère est ici le terme générique
pour parler de la personne qui est sensée prendre soin de l'enfant au quotidien) et m'invite à répondre aux injonctions, aux drivers et prendre des
décisions de scénario. Il vaudra toujours mieux recevoir des SDR en toc plutôt
que rien du tout.
Exemple clinique : Alexandra fait la tête. Rémy est surpris et
souhaite mettre du sens sur son ressenti face au visage fermé d’Alexandra. Il
va donc lui demander des explications.
Si Alexandra et Rémy avaient
travaillé sur leur scénario :
- Rémy : Quand ton visage est
ainsi, j’ai peur parce que je suppose que tu es en colère contre moi d’être
arrivé en retard.
- Alexandra : C’est vrai, je
suis un peu en colère. Parce que cela me rappelle mon père qui arrivait toujours
en retard et cela me mettait en colère parce que du coup, je n’avais jamais de
temps avec lui. Et je sais bien que tu n’as pas eu beaucoup de retard, mais
voilà, cela me rappelle que nous n’avons pas beaucoup de temps ensemble.
- Rémy : Je suis désolé de te
renvoyer ce souvenir. Je ferais attention d’arriver à l’heure parce que c’est
important pour toi et parce que je me rends compte que nous ne passons pas
beaucoup de temps ensemble à cause de nos travails respectifs. Penses-tu qu’il
y ait une solution ?
- Alexandra : Je ne crois pas
que l’on puisse moins travailler puisque ce n’est pas nous qui décidons de nos
horaires, alors peut-être que si je ressens de l’agacement, je devrais plutôt
t’appeler sur le trajet pour qu’on puisse commencer à être ensemble avant que
tu arrives à la maison, qu’en dis-tu ?
- Rémy : Cela me ferait
plaisir, mais c’est dangereux de conduire en téléphonant. Je peux te proposer
plutôt de t’envoyer un sms à 17h pour te dire un petit mot gentil ou de t’appeler
pour de faire un bisou par téléphone et te dire à quelle heure je pars.
- Alexandra : Oui, essayons
ça, cela me permettra d’attendre en toute tranquillité et de ne pas être
en colère contre toi alors qu’au fond je suis en colère contre mon père !
J’aurais aimé pouvoir lui dire tout ça et qu’il me propose ce que tu m’as
proposé. Merci, je comprends qu’il vaut mieux qu’on parle plutôt que de faire
la tête.
Le sentiment parasite est pour
Steere une phase observable du protocole. Il apparaît comme :
-
Un
mouvement vers le début du jeu
La colère
d’Alexandra se manifeste sur son visage fermé et son silence.
Le retard de
Rémy accroche Alexandra dans le jeu
-
Un
compagnon au bénéfice du jeu
En son for
intérieur dans le jeu, Alexandra se dit : Décidément, on ne peut pas
compter sur les hommes (les hommes ne respecteront jamais mes besoins)
En son for
intérieur dans le jeu, Rémy se dit : décidément, je ne peux être libre
-
Des sentiments
familiers qui ont dominé toute notre vie
Alexandra ne
pouvait pas exprimer sa colère à son père, au lieu de ça elle nourrissait du
ressentiment envers lui (et tous les hommes)
Rémy ne pouvait
exprimer à ses parents son désir d’être autonome, au lieu de ça, il se mettait
en retrait, arrivait en retard, oubliait de ranger sa chambre pour garder un
peu de pouvoir sur sa vie tout en répondant à l’injonction parentale : Ne
grandis-pas
Alexandra et Rémy dans le jeu
(quand le scénario n’est pas mis en conscience) :
- Rémy : Tu fais la tête ?
- Alexandra : Non !
- Rémy : Ah ! On dirait pourtant !
- Alexandra : Je te dis que non.
- Rémy : OK
- Alexandra : J’en ai marre. Tu es toujours
en retard à la maison. On dirait que tu ne veux pas me voir, que tu m’évites.
Tu ne fais rien ici. On dirait que tu ne veux pas passer de temps avec moi.
C’est toujours pareil, tu pourrais quand même…
- Rémy : Eh oh ! Je te signale que je ne
suis pas un gosse ! J’avais une réunion au travail. Je ne peux pas partir
comme ça !
- Alexandra : ça te coute quoi d’envoyer un
sms pour dire que tu seras en retard.
- Rémy : Je t’en ai envoyé un la semaine
dernière !
- Alexandra : Oui et est-ce que je me suis
énervée ?
- Rémy : Non, mais ça ne change rien. Tu es
toujours en colère contre moi. Quoi que je fasse (Rémy claque la porte)
Le jeu a apporté la possibilité à
Alexandra d’exprimer son sentiment parasite (la colère) et d’obtenir une
nouvelle bonne raison de penser que les hommes ne peuvent répondre à ses
besoins et qu’elle est impuissante face à cela (nourrissant sa colère non
exprimée à son père). Le jeu a apporté le possibilité à Rémy d’exprimer son
sentiment parasite (la colère) et d’obtenir une nouvelle bonne raison de penser
que décidément il ne peut faire ce qu’il veut et que les femmes cherchent à le
contrôler (nourrissant sa colère non exprimée directement à sa mère). Aucun des
deux dans cette situation n’a exprimé le sentiment authentique (le désespoir
qui se cache derrière la colère) puisqu’il semble interdit et continu de
répondre aux injonctions parentales.
L’attitude scénarique représente
une réaction corporelle caractéristique et prévisible d’un comportement qui
répond à une injonction et est donc un signe scénarique.
Alexandra fait la moue. Ceci
devrait alerter Rémy sur le jeu à venir et le renseigner sur ses propres
attitudes scénariques qui ont accroché Alexandra.
Steere distingue 6 attitudes
scénariques :
Attitude
|
Injonctions
|
Contre-injonctions
|
Programme
|
Position
|
Bénéfice
de scénario
|
Prescription
|
Protectrice
La personne couvre son corps, croise les jambes,
les bras
|
Ne sois pas proche
et parfois
Ne grandis pas
|
Sois fort(e)
|
La personne cherche à être compétente, à réussir
et à se mettre à distance
|
Moi
+,toi -
|
Solitude
|
La personne devrait explorer ses sentiments
vis-à-vis d’autrui (et de l’autre sexe)
Et expérimenter des solutions concernant
l’intimité
|
Diminutive
La personne se tasse ou se rapetisse
|
Ne grandis pas
|
Fais-moi plaisir
|
La personne fait beaucoup d’efforts pour réussir,
mais échoue
|
Moi
-,toi +
|
Obtenir des soins
|
La personne devrait faire des expériences avec
les muscles en extension plutôt que fléchis et contractés
|
Ascendante
La personne se grandit de façon excluante ou
restreignante
|
Ne sois pas un(e) enfant
Parfois
N’existe pas
Ne réussis pas
Ne sens pas
|
Sois forte
Sois parfaite
|
La personne tente de prendre soin de tout le
monde
|
Moi
+,toi -
|
Vois combien d’efforts j’ai faits
|
La personne devrait poursuivre la satisfaction de
ses désirs et besoins à elle (Enfant)
|
Discordante
La personne manque de naturel, de coordination,
de grâce dans sa position ou ses mouvements
|
Ne sois pas toi-même
|
Fais-moi plaisir
|
La personne fait des efforts prolongés pour faire
ce que veut l’autre ou fais le sacrifice de ses désirs notamment sexuels
|
Moi-,
toi +
|
Sans amour
|
La personne devrait se donner la permission de
montrer sa grâce et sa beauté naturelle
|
Passive
La personne parait souvent effondrée, en retrait,
en dehors, en arrière, résignée
Elle peut être bienveillante ou anguleuse
|
Ne réussis pas
Ne grandis pas
Ne fais pas
|
Sois parfaite
|
La personne ne fait rien ou entre en rébellion
Passive-agressive
|
Moi
-, toi -
|
Echec
|
La personne devrait enclencher et investir
l’Enfant naturel exclu
|
Immobile
La personne parait immobile ou rigide
|
Ne sens pas
N’ai pas d’attache
|
Fais efforts
|
La personne lutte pour survivre et éviter la
désapprobation
|
Moi
-, toi -
|
La personne obtient du rejet
|
Encourager le mouvement et l’expression
|
Selon Steere, le scénario se
forme entre 2 et 7 ans au stade préopératoire (Piaget).
« La fonction symbolique est
utilisée pour exprimer tout ce qui, dans l’expérience de l’enfant, ne peut se
formuler et s’assimiler par le langage. » Ainsi, l’évènement peut
s’historiser, entrer dans le temps et permettre de nouvelles façons de faire.
Le protocole est le produit de
l’intériorisation des schèmes sensorimoteurs (< 2ans), de la pensée intuitive de notre expérience
primitive de vie associée aux schèmes symboliques privés inaccessibles à la
communication et à la compréhension verbale.
Les interventions
thérapeutiques :
1. Porter l’attention sur le corps : les
attitudes et les mouvements
Le thérapeute attire l’attention du client
sur son corps, ses attitudes, ses mimiques (que le thérapeute a déjà repéré
comme des signes). Il peut le faire en nommant et en imitant et en demandant au
client de reproduire volontairement la mimique en l’interrogeant sur son
ressenti quand il fait cela.
2. Explorer le sens/la compréhension du
mouvement
Le thérapeute
insiste sur la mimique. Il demande au client de dire les pensées et sentiments
qui viennent sans chercher à savoir pourquoi ils sont là. Quand la personne est
complètement dans le mouvement et dans l’Enfant, elle est prête à redécider.
Attention, la redécision peut venir de l’Enfant adapté, il est donc important
d’explorer aussi la deuxième position opposée à la première pour savoir ce que
le client sent de ce côté-là et quel sens cela a pour lui.
3.
Expérimenter
des attitudes et des mouvements différents
Inviter le client
à se positionner différemment (dans la position du gagnant) et voir ce que le
patient ressent, et l’inviter à nommer ce qu’il sent.
C’est le jeu symbolique qui
permet la redécision lorsqu’une personne revit la ou les scènes originelles du
protocole.
Au niveau du protocole, on
retrouve les besoins déçus de l’Enfant. L’expérimentation permet de les mettre
à jour et de trouver les moyens adéquats pour répondre aux besoins initiaux ou
selon Steere, maîtriser la situation de manière appropriée, la compléter ou la
conclure.
Pour étoffer cet article sur le protocole et l'utilisation de ce concept en thérapie, vos questions, commentaires et expériences sont les bienvenus.
Karine Danan
Pour étoffer cet article sur le protocole et l'utilisation de ce concept en thérapie, vos questions, commentaires et expériences sont les bienvenus.
Karine Danan
[2] OATES,
Steff, L’impact de l’absence et l’aspect
ineffable du protocole, A.A.T n°152, 2015/4, p.19
[3] NOE,
Anne, La relation thérapeutique dans le
traitement des traumatismes précoces, A.A.T n°152, 2015/4, p.41
[4]
CONTAMIN, Emmanuel, Guérir de son
passé : avec l’EMDR et des outils d’autosoin, Odile Jacob, 2017.
[5] CORNELL,
W.F & LANDAICHE, M.N, Impasse et
intimité dans le couple de travail en thérapie ou en conseil : l’influence du
protocole, A.A.T n°120
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